Décollage par vent fort, pièges et solutions
Petite histoire de décollage par vent fort
Au décollage il y avait du vent fort cet après-midi-là. Soutenue, mais pas ingérable pour plusieurs pilotes solo et biplaceurs qui volaient sur le site. En le voyant arriver, rien qu’à sa manière d’aller sur le déco on aurait dû aller le voir pour lui dire que c’était pas pour lui. Mais on a laissé faire, ne voulant pas passer pour les ‘flics’ du coin. Quand il est passé devant moi, je lui ai juste dit que c’était fort aujourd’hui.
Il a préparé son aile sur le déco, au lieu de se préparer tranquillement sous le vent. Il a vite abandonné l’idée que son aile allait rester sagement au sol toute seule. Il a donc décidé de mettre la sellette. Aujourd’hui j’en rigole parce qu’il ne s’est pas fait mal, mais ce jour-là on osait à peine le regarder.
Par miracle, il a bouclé la sellette et réussi à prendre freins et avants sans que la voile ne se gonfle et ne l’emmène derrière le décollage.
Voilà donc notre pilote face à sa voile, visiblement décidé à y aller, mais certain au plus profond de lui d’aller à l’échec. Et ça n’a pas raté. Il a fait deux pas rapide vers l’arrière, à ensuite verrouillé les pieds au sol en s’accrochant aux avants. Dans sa montée rapide et violente, la voile l’a soulevé à un bon mètre au-dessus du sol, ce qui lui a fait faire un demi-tour de détwistage, puis elle l’a « crachée » au sol l‘instant d’après. Nous étions deux à courir vers lui afin de tenter de neutraliser la voile tandis que cette dernière n’était pas encore au sol. Mon ami s’est jeté sur le stabilo, tandis qu’agrippant le pilote au sol, je tentais d’atteindre ses freins. Dix seconds et vingt mètres plus tard, tout était à l’arrêt. Et notre pilote de nous dire :’C’est puissant chez vous !’
Cette histoire s’est déroulée il y a quelques années. J’en ai vu d’autres qui se sont malheureusement plus mal finies… Notamment dans un téléski et un autre en retour à la pente.
Plus le vent est fort, plus la gestion d’une aile est technique. Et plus il est fort, plus les conséquences d’une mauvaise gestuelle peuvent être graves.
Et oui… où
- Rhô = la masse volumique de l’air
- S = Surface de l’aile
- C = Coefficient aérodynamique
- V = vitesse (vent relatif)
Et la vitesse est un carré… On double la vitesse, la force quadruple.
Je suis pourtant certain qu’un peu de connaissances, puis un peu de pratique en pente école par brise de plus en plus soutenue, peuvent éviter des catastrophes et élargir le domaine de vol des pilotes.
Les connaissances indispensables
La préparation de l’aile.
Préparer une aile dans du vent fort, sur un décollage est compliqué et parfois même dangereux. Alors sur les décollages qui le permettent, préparez-vous sous le vent, ou à l’abri du vent. Et sur les autres, sortez votre aile de votre sac, rangez tout dans la sellette, ouvrez juste une partie du bord d’attaque, histoire de vérifier qu’il n’y a pas de tours de sellettes, et installez-vous. Vous êtes maintenant libre d’aller où vous voulez sur le décollage pour prégonfler votre aile.
La position sur le décollage
Tous les décollages ont leurs spécificités… Surtout par vent fort. Alors tout le monde sait qu’en descendant dans la pente, la brise faiblis… C’est l’effet venturi. Mais heureusement, le choix de l’emplacement sur le décollage ne s’arrête pas là.
Il vaut toujours mieux être « dans la pente », derrière une rupture de pente, il y a des rouleaux. Si le vent est légèrement travers, on sait que l’effet girouette aura tendance à placer votre aile face au vent… On choisira donc de se mettre sur le côté opposé au vent.
Attention aussi aux obstacles, derrière lesquels ont rencontrera des rouleaux d’autant plus importants que le vent est fort.
Et enfin n’oubliez pas que si le vent est fort, vous allez certainement devoir reculer… Donc, laissez de la marge derrière votre aile.
- Rupture de pente
- Venturi
- Obstacles
Les cycles érologiques
On n’en parle jamais, ou en tous cas jamais assez. C’est pourtant une information capitale ! La brise est rarement parfaitement régulière. Elle obéit à des cycles plus ou moins forts. Et ces cycles sont mesurables. Simplement en comptant les secondes de brises fortes et les secondes de brises plus calmes. Et vous pouvez commencer à mesurer ça dès que vous arrivez sur le décollage. Pas besoin d’attendre d’être prêt, voile pré-gonflée sur le décollage. A force de regarder, vous serez prêt à décoller au début du cycle « faible ». Et par vent fort, le bon moment c’est parfois 5 à 7 km/h moins fort que pendant le cycle fort.
Le prégonflage
Le pré-gonflage c’est à la fois une manière de vérifier que l’ensemble du suspentage est bien démêlé, mais c’est surtout un moyen de positionner votre aile au sol de sorte qu’elle reste, bord d’attaque ouvert, sans que le bord de fuite ne se soulève… Autrement dit dans une position idéale pour attendre le créneau de décollage.
Pour ça, je vous conseille de pré-gonfler votre aile avec les avants dans une main et les arrière (et non les freins) dans l’autre. Avec cette technique, la partie arrière du bord de fuite se plie sur elle-même et est donc protégée de la brise. Elle ne risquera donc pas de se regonfler par le bas.
Avorter un décollage
La décision d’avorter un décollage on la prendra bien entendu en cas de problème sur l’aile, comme une clé ou une cravate. Mais la décision sera plus difficile à prendre si c’est parce que l’aile monte de travers. Il y a pourtant plus de chance qu’elle monte de travers que d’avoir une clé (si votre pré-gonflage est bien fait).
Personnellement je prends la décision d’arrêter dès que je me rends compte que la récupération de l’aile par des gestes simples est difficile ou impossible. J’entends par gestes simples : un pas de côté et un contre commande raisonnable. S’il faut commencer à courir de travers en marche arrière en contrant avec 30 cm de frein… Ça part mal. Donc c’est dangereux. C’est dangereux parce que plus l’aile montera, plus elle aura de la force et de vitesse.
Vent fort et RFA
La RFA c’est la résultante des forces aérodynamiques. En vol elle est égale et opposée au poids. Et plus le poids est important, plus la RFA est importante… plus l’aile vole vite. Sur un décollage venté, le poids, c’est la tension dans vos suspentes.
Revenons maintenant au décollage. Plus il y a de vent, moins on « tirera fort » sur la voile, afin de diminuer la tension dans les suspentes et donc la RFA. On aura même tendance, si c’est nécessaire, à aller vers la voile pendant qu’elle monte et ce afin de faire baisser la vitesse du vent relatif et donc… La RFA
Essayez de gonfler l’aile par une légère traction sur les avants, puis, dès que l’aile quitte le sol, commencez à marcher vers elle. Vous verrez, c’est surprenant comme votre aile deviendra docile.
Gradient au décollage
Si le gradient existe à l’atterrissage (plus on descend, moins il y a de vent), il existe aussi au décollage. Mais là, plus l’aile monte, plus la brise ou le vent est fort.
Donc plus l’aile monte, plus son vent relatif est important et plus le vent relatif est important, plus les forces aérodynamiques augmentent.
Il faut en tenir compte ! Si vous avez 2à km/h à 1 m 50 du sol, il y a peut-être 25 à 2 mètres et 30 à 4 mètres. Et 3 à 4 mètres, c’est la longueur de votre cône de suspentage.
La montée en “cobra”
Il s’agit de monter l’aile en bord de fenêtre. Donc là où la RFA est la moins forte. Ca demande pas mal de travail. Ne vous entraîner pas sur un décollage.
Deux vidéos très explicatives :
- Cédric Gettet : gonflage “cobra”
- Supair, avec Raul Rodriguez : gonflage en “bord de fenêtre”
La voile est toujours la plus forte
Eh oui, vous ne gagnerez jamais contre votre aile en utilisant votre force ou votre masse si vous préférez. Plus vous tirerez dessus, plus vous irez contre elle et plus elle tirera (voir plus haut RFA). Donc si votre voile vous embarque, rien ne sert de tenter de la ralentir, ça ne fera que la faire accélérer. Allez plutôt vers elle en freinant de moitié (taux de chute mini). C’est plus efficace que de contrer physiquement et d’essayer de l’affaler complètement. La faire décrocher entraînera une traction soudaine et violente… Même si vous allez vers elle.
L’affalement
Il n’y a pas, malheureusement, une méthode miracle. D’une part parce que toutes les voiles ne réagissent pas de la même manière et d’autre part parce que chaque pilote est plus ou moins à l’aise avec telle ou telle méthode.
Il en existe plusieurs :
Mettre l’aile en bord de fenêtre (se déplacer latéralement afin d’emmener l’aile sur le côté jusqu’à ce que le stabylo touche le sol et affaler l’aile latéralement)
Faire une frontale
- Décrochage aux « B » ou aux arrières
- Faire un décrochage dynamique aux freins (traction ample et violente sur les freins)
- Reculer vers elle avec un freinage symétrique modéré
- …
C’est à vous d’essayer et de choisir la méthode que vous maîtrisez le mieux.
Quand le bord d’attaque est au sol
On voit parfois des décollages qui se passent « mal » finir avec le bord d’attaque face au sol et le pauvre pilote freiner autant qu’il peut pour calmer son aile qui rebondit frénétiquement sur le sol en le tractant en arrière.
Avec les freins, le pilote ne pourra jamais gérer son aile. Simplement parce que dans cette configuration, le bord de fuite est devenu le bord d’attaque et par conséquent, plus le pilote tire sur les freins, plus il demande à son aile de voler. Il faut donc relâcher les freins et au besoin, tirer sur les avants.
Comment aider ou se faire aider
Mon point de vue, c’est qu’un pilote qui ne peut pas décoller seul ne doit pas voler. L’aide c’est pour le passager en biplace.
Ne prenez pas n’importe qui pour vous faire aider… Et n’aidez pas quelqu’un si vous ne savez pas comment faire.
Tout d’abord, agrippez le passager ou la sellette à un endroit que vous êtes certain de pouvoir lâcher. Des accidents dramatiques sont déjà arrivés avec des aides qui n’ont pas pu lâcher l’équipage.
L’aide, c’est celui qui équilibre le passager. En aucun cas il n’est là pour aider physiquement le pilote à monter l’aile. Rappelez-vous que plus on tire, plus elle tire. Et même à deux, l’aile gagnera toujours. Il doit donc accompagner le passager dans ses mouvements, le suivre, quelle que soit sa direction.
Et enfin se retirer (lâcher l’équipage), dès que le pilote à la tête stabilisée au-dessus de la tête.
Conclusion
N’oubliez pas que décoller dans du vent fort n’est jamais anodin. Une mauvaise gestion des techniques de décollage peut entraîner des accidents graves. Voilà pourquoi il est important de passer des heures en pente école, loin de tout obstacle, de toute pression extérieure, sans aucun risque de se retrouver en l’air.
Le pré-gonflage ne doit plus avoir aucuns secrets pour vous. Entraînez-vous à monter votre aile en douceur, apprenez à aller vers elle. Essayez aussi les différentes techniques d’affalement, jusqu’à ce qu’une d’entre elle vous paraisse sécuritaire.
Sur les décollages, n’utilisez que des techniques maîtrisées… N’imitez pas un autre pilote avec une technique que vous ne connaissez pas. Les expériences c’est en pente école.
Enfin n’ayez pas peur ou honte de refuser de voler parce que les conditions au décollage vous paraissent trop fortes.
Bons vols, soyez prudent
Laurent Van Hille
Liens :
La vidéo fédérale “vent fort”
Le tuto de Fabien Blanco (Flyeo)
Décollage “cobra” par Cédric Guettet
Article RTO sur le décollage par vent fort
Lien vers la page “articles Parapente360.com”
Par vent soutenu (25km/h et plus) je décolle l aile disposée en bouchon avec les oreilles bien dégagées et un démêlage très soigneux, préparé à l abri du vent. Je décolle ainsi direct car le prégonflage ouvre la voile et augmente la rfa pendant la montée. J insiste sur la nécessité d une préparation et d un démêlage minutieux ! Si je suis en bi, je détrime à fond pour réduire la rfa car l aile prend en charge à vitesse plus élevée. J évite ainsi de me faire arracher, d autant que je minimise l effet « noyau de cerise « : plus une aile est trimée et plus elle peut avoir un point dur à 45deg dans sa montée (rfa au max) et shooter copieusement en doublant et arrachant son équipage. Les accrobates adorent cet effet pour effectuer les manœuvres dynamiques, leurs ailes sont étudiées pour ! Mais au déco vent fort on n en veut pas, on cherche à réduire la rfa et à augmenter la vitesse air de prise en charge. Donc détrimons! Dans tous les cas le vent soutenu exige beaucoup de confiance en soi et donc beaucoup d entraînement sur terrain plat. J ai aussi appris à exagérer la traction sur les avants pour « fripper » le bord d attaque pendant la montée de l aile et réduire ainsi la fameuse rfa qui arrache! Pareil, ça demande de bien connaître son aile, de savoir lui causer juste !
Ah le vent fort.. J’en ai fait des bourdes. 😱 Arraché, twisté, retour à la pente et tassement de vertèbres.. Mais aussi tiré en arrière vers les arbustes etc etc… Il y avait un problème psychologique (souvenirs d’un ligament croisé pété parce que j’avais voulu résister à la voile, sortie de son sac, une A, souvenirs de décos scabreux, poussiéreux, thermiques à souhait, rien de laminaire) et technique (pas assez de gonflage). Après beaucoup de mésaventures (traverser un champ tiré par la voile, voile dans les arbres au déco et j’en passe), j’ai commencé à rater des créneaux de vols, parce que le regard des autres, parce que la peur de se faire mal, d’abîmer sa voile.. Mais cela a commencé à changer quand je me suis mis à faire du gonflage, du gonflage, quand je me suis dit qu’il ne fallait pas pas aller directement dans la phase de vol, mais de préparation de la voile, de choix de la molle, de choix de l’emplacement, de la gestuelle à accomplir sans être surpris. Et puis un gars m’a dit de ne prendre que 2 suspentes centrales, de maîtriser la montée aux arrières, d’avoir les jambes pliées, de rester souples sur les appuis. Petit à petit, la confiance est revenue et avec le temps et l’expérience, je n’ai plus cette angoisse. Je suis plus patient et j’attends ou je change de taille de voile et là on devient le roi du monde. Finalement cette phase de décollage, je l’aime, c’est déjà le vol quand je sors la voile du sac. Et rester dans sa bulle. Après il faut s’écouter, regarder et quand on ne le sent pas, ne pas y aller. Tant pis. Savoir renoncer, c’est savoir progresser disait mon moniteur Stephane Henry 😊. Il m’a fallu des années pour devenir serein 😉
Merci Mathieu pour cette explication qui, je l’espère va motiver la plupart des pilotes à pratiquer au sol.
Merci pour cet article très complet.
Mon expérience est que le gonflage en pente école (pas sur le plat) est le seul moyen de réellement progresser. Sur un véritable déco c’est mort, car la pression et le stress ne font que réduire fortement les capacités cognitives et il faut donc avoir tout automatiser bien avant.
La difficulté est de trouver une pente école exploitable par vent fort. Près de chez soi, pour y aller vraiment.
A défaut il faut travailler tout ce qu’on peut sur le plat c’est déjà ça, en cherchant à se faire décoller le plus possible pour s’habituer à se faire arracher et donc à bien dissocier les bras des appuis au sol, là où l’instinct pousse à s’accrocher aux freins ou à “retenir” l’aile alors qu’il faut faire l’exact inverse.